La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon

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Nadia Comaneci est un mythe, elle fait partie de notre imaginaire. Elle est cette gymnaste incroyable qui a défié la peur et les lois de l’apesanteur et dont les acrobaties ont émerveillé le monde entier.

Ce roman est une plongée dans la vie de la fillette, à la fois fée et robot communiste grâce à qui le régime a fait la promotion de la réussite totale d’un système. On découvre le quotidien de l’athlète fait de séances d’entraînement, de privations de nourriture et de voyages à l’étranger, à l’occasion de compétitions internationales qui représentent autant d’enjeux géopolitiques. Au-delà de la vie de Nadia Comaneci cette histoire est celle de peuples soumis et affamés, d’individus instrumentalisés et surveillés.

Ce roman m’a fait vibrer d’effroi. On ne peut pas rester insensible à ce que Nadia Comaneci a vécu pour devenir cette gymnaste qui a obtenu la note incroyable de 10, au mépris de la hiérarchie mondiale et des ordinateurs ! J’ai particulièrement « souffert » à l’évocation de la surveillance orchestrée par la Securitate, des entraînements douloureux, des prises de risques insensées. J’ai été horrifiée par la manière dont le corps de cette fillette a été maltraité au point de faire disparaître ses règles considérées comme une maladie, au point de concourir tout en étant blessée. La fillette n’avait pas le droit de grandir, sous peine de devenir, selon elle, un monstre. Elle devait préserver sa virginité et son enfance à tout prix, pour que vive le rêve communiste… Ce roman démontre jusqu’où la manipulation des esprits peut aller au point de faire croire à une gymnaste que l’obéissance dont elle fait preuve est un contrat passé avec elle-même.

Ce roman est une critique sévère de l’Est, bien sûr, mais ne nous y trompons pas, l’Ouest aussi en prend pour son matricule. Souvenons-nous que Ceausescu, considéré comme un résistant aux soviétiques, était l’interlocuteur des chefs d’état occidentaux. Et puis n’oublions pas que l’Occident a adoré Nadia Comaneci (qui n’était ni plus ni moins que l’héroïne du travail socialiste) avant de la traiter de traînée dans ses tabloïds, une fois qu’elle avait fui aux Etats-Unis, une fois qu’elle avait grandi. Et puis reconnaissons que l’Ouest a adopté le système d’entraînement des gymnastes communistes et a remplacé la censure politique par la censure économique…

Nadia Comaneci apparaît comme un personnage complexe et plein de contradictions, faisant passer le lecteur de ce roman de la compassion à l’incompréhension, du respect au mépris, au gré de l’évolution de la gymnaste, passée du statut d’angelot moralement inflexible à celui de fugueuse. Et puis le parallèle entre cette vie et l’histoire de la Roumanie est intéressant, révélateur de toute une époque.

Ce que dit la 4è de couverture : « Parce qu’elle est fascinée par le destin de la miraculeuse petite gymnaste roumaine de quatorze ans apparue au JO de Montréal en 1976 pour mettre à mal les guerres froides, ordinateurs et records au point d’accéder au statut de mythe planétaire, la narratrice de ce roman entreprend de raconter ce qu’elle imagine de l’expérience que vécut cette prodigieuse fillette, symbole d’une Europe révolue, venue, par la seule pureté de ses gestes, incarner aux yeux désabusés du monde le rêve d’une enfance éternelle. Mais quelle version retenir du parcours de cette petite communiste qui ne souriait jamais et qui voltigea, d’Est en Ouest, devant ses juges, sportifs, politiques ou médiatiques, entre adoration des foules et manipulations étatiques ?

Mimétique de l’audace féérique des figures jadis tracées au ciel de la compétition par une simple enfant, le roman-acrobate de Lola Lafon, plus proche de la légende d’Icare que de la mythologie des « dieux du stade », rend l’hommage d’une fiction inspirée à celle-là, qui, d’un coup de pied à la lune, a ravagé le chemin rétréci qu’on réserve aux petites filles, ces petites filles de l’été 1976 qui, grâce à elle, ont rêvé de s’élancer dans le vide, les abdos serrés et la peau nue. »